jeudi 18 septembre 2008

Froid

Nous y sommes, c'est officiel, et même, je dirais, incroyable. Le froid est arrivé. Déjà. Un vrai froid. Un fond de l'air froid. Il ne suffit plus de se mettre au soleil pour se chauffer, comme je faisais cet été dans le petit parc à coté du théâtre, en t'attendant. Non. A partir de maintenant, le processus deviendra irréversible: il faudra vraiment que je t'attends à la maison. Car dehors, c'est froid. Une dizaine de dégrées à peine, tout d'un coup. Le soir, encore moins. Les journées sont plus courtes, l'hiver avance, je ne veux pas rester ici et le regarder avancer.

Aujourd'hui j'ai passé un long moment au soleil essayant de me chauffer et contemplant à travers mes lunettes noires la pelouse déserte du terrain de foot du O.S.Fives. La grille du terrain était ouverte, je me suis à demi couchée sur le banc des réserves. Le soleil était bien chaud, mais le fond de l'air irréparablement froid. J'ai fini par être chassée de là par un cerbère moustachu de 150 kilos au moins, des boudins de gras ressortaient de son jogging couleur bordeaux 'O.S.Fives', je le vois bien se gaver de hamburger en mâtant des pornos chez lui, mais me laisser juste essayer de me réchauffer au soleil de l'après-midi, ça non, il ne sait pas le faire.

Ce temps m'épuise. Il fait déjà trop froid pour la saison. De plus, le soleil me rend mélancolique, inactive et de mauvaise humeur. C'était mieux cet été, la pluie et les rares éclaircies, la rue silencieuse le matin, les longues journées à t'attendre, les fenêtres grand ouvertes.

Je pense souvent au clochard de la rue Jacquet. Ce soir je lui ai encore ramené à manger. De la soupe, de la salade, du pain. Il m'a regardé en souriant comme d'habitude avec ses grands yeux bleu excessivement sincères. 'Gnam gnam!', il m'a dit en rigolant. La porte de son ainsi dite maison était entre-ouverte. Un taudis. Un refuge pour clochard. La dame à coté, belle petite maison de ville avec fenêtres vieillottes et rideaux monastiques, le chasse du pas de sa porte. Elle ne veut pas qu'il reste là. Parfois, il s'installe en face, sur le muret juste avant la grille de la tour HLM. Il y a beaucoup de gens qui lui disent bonjour, lui offrent des clopes. L'autre soir une pétasse lui a mis dans les mains en passant un sandwich frais de la boulangerie en lui disant 'tiens ton sandwich!'. Pétasse.

Moi, je lui parle. J'essaie, du moins. Je ne comprends rien de ce qu'il me dit, car il bégaye et mange les mots, derrière sa barbe de poils roux. Mais je comprends qu'il a de l'humour, derrière la croute visible du désespoir.
Ce soir, à coté de lui, un énorme sac avec des fringues. Des belles fringues. Des chemisettes. Quelque pétasse a dû lui laisser ça en passant. Je parie qu'il ne va jamais les mettre.
Lors que j'arrive, il tient à me serrer la main. Sa paume est toujours collante de sueur et de je ne sais quoi. Lorsque je rentre de chez lui, mon chat me suit comme si je venais de visiter une ferme. Les odeurs sauvages. Je me lave à fond les mains, du coup. Mais je m'en fous, en réalité, de ses mains crasses. Elles sont plus propres que beaucoup de mains propres.
L'hiver avance et il n'y a pas de chauffage chez lui, même pas la peine. Je me demande comment il fera sans moi, lorsque je partirai. J'ai à mon cœur un long élancement froid, lorsque je pense à lui.
Sa demeure demeure, en ligne d'air, à quelque dizaine de mètres de la tienne. En rendant visite au clochard, je masque avec une bonne action mes histoires de cul.

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ma tête, ce soir

ma tête, ce soir

Accouplé à la peur
entre la vie et le vide

le cou engendre le couteau

et le Coupeur de têtes
suspendu entre la tête et le corps

éclate de mou rire

(Ghérasim Luca, A gorge dénouée)

de quoi Elise est-il le nom?

nous sommes nombreux mes frères